Les conséquences de la crise sur les appels à Télé-Accueil Bruxelles

S’il ne fait nul doute que la crise du Covid-19 et les mesures prises pour endiguer la pandémie ont temporairement mais drastiquement marqué nos vies et nos façons de vivre, comment les appelant.e.s de Télé-Accueil Bruxelles ont-ils été impacté ? Pour le savoir, les données statistiques dont l’ASBL dispose ont fait l’objet d’une analyse menée par son Observatoire social. Dans la foulée, 12 écoutant.e.s du service d’écoute téléphonique ont été interviewé.

1.       A la lumière des chiffres :

    • Il apparait qu’à Télé-Accueil Bruxelles, comme au début de la crise (et probablement de même qu’à Télé-Onthaal et dans les autres centres de Télé-Accueil de Belgique), la semaine du lundi 27 juillet au 03 août fut marquée par un regain d’appels.

 

    • Par rapport à la dernière semaine du mois de juillet de l’année précédente (du 22 au 29 juillet 2019), il y eut davantage d’appels décrochés soit +33,2% (958) et +43,8 % d’appels reçus (2646). Si la fréquence d’appels reçus au 107 s’est accentuée de manière substantielle, le taux d’appels décrochés a lui aussi évolué à la hausse mais pas exactement dans les mêmes proportions car notre capacité physique de pouvoir y répondre est demeurée inchangée.

 

    • De manière générale, le mois de juillet 2020 a connu une hausse du nombre d’appels entrants +13% (11.109) et du nombre d’appels décrochés + 26 % (3644) par rapport au mois de juin 2020 (contre 9828 appels reçus et 2835 appels répondus en juin). Mais en raison des moyens dont nous disposons, notre capacité d’écoute n’a malheureusement pas suffit à répondre à la demande d’écoute soutenue.

 

    • Durant la semaine ayant suivi les recommandations du CNS, le nombre d’appels évoquant la question du coronavirus et des mesures imposées était comparable à celui du début de la crise alors qu’avec les mesures de déconfinement, celui-ci était retombé à des valeurs proches de 20 %. Ces appels occupent désormais une place importante parmi l’ensemble des appels. Un appel sur deux, soit environ 42,5 % du total des appels décrochés, lors de la dernière semaine de juillet 2020 traitent de cette problématique.

 

    •  A titre de comparaison, au début du confinement, c’était près de 4 appels décrochés sur 10 (39,2%) qui évoquaient la problématique du coronavirus et des mesures qui furent adoptées. Des données qui reflètent l’influence de la crise du coronavirus sur la vie des appellant.e.s et sur les préoccupations des habitants de la Région bruxelloise qui appellent Télé-Accueil, plus spécifiquement.

 

    • Hormis l’importance des thèmes liés aux évènements inédits (au confinement, au coronavirus, à la recrudescence des problématiques socio-politiques, etc.), les sujets évoqués lors des appels ainsi que les profils des appelant.es demeurent dans l’ensemble (c’est-à-dire au niveau des grandes catégories) inchangés au regard des années antérieures.

 

    • Quant aux heures d’appel, force est de constater que des appels nous arrivent à toute heure. Comme en période « normale », lors de cette semaine particulière, il y eut des heures de basse fréquentation (entre 3 heures et 7 heures du matin) et des heures de haute fréquentation (entre 10 et 11 heures et entre 20 et 23 heures). Mais il n’y a pas eu d’heures creuses. Au plus haut, c’est-à-dire entre 21 et 22 heures, on a enregistré en moyenne 56 appels décrochés fin juillet 2020 (contre comparativement 31 appels décrochés au cours de la dernière semaine de mois de juillet 2019).

 

2.       Au regard, de l’analyse qualitative des témoignages des écoutant.e.s. présents cette semaine-là, l’impression majoritaire est que :

    • Les appelant.e.s. (73%) ne comprennent pas bien les mesures prises par le CNS : contradictions relevées parmi les différents experts (quant à l’usage du masque, du nettoyage des mains, de la distanciation sociale, des activités, des lieux et des personnes qu’ils peuvent fréquenter), problème de complexité et de lisibilité (pour savoir qui fait partie des personnes autorisées à voir, dans quel cadre, etc.), mécontentements (une question qui revient souvent : pourquoi ne pas avoir placé la ville d’Anvers, nouveau foyer de contamination, en quarantaine ?) et désaccords (certains fustigent les mesures, d’autres y voient un complot ou une façon d’accroître le contrôle de la population, etc.) reviennent le plus souvent à travers les témoignages.

 

    • Autre problème majeur : les témoignages des écoutant.e.s. révèlent qu’en Région bruxelloise, une frange substantielle des appelant.e.s n’ose plus se rendre à l’hôpital, par peur de ne pas être pris en charge (car jugés non prioritaires), d’être contaminés, de se retrouver isolés de leurs proches ou d’être placés en quarantaine.

 

    • D’autres moins nombreux estiment qu’au contraire les nouvelles mesures prises par le CNS sont indispensables mais qu’elles ne sont pas toujours bien mises en œuvres par les pouvoirs publics, ni respectées par les citoyens, voire qu’elles seraient insuffisantes.

 

    • D’aucun s’interrogent sur la gestion de la crise : Pour quelles raisons refuse-t-on d’administrer les soins intensifs aux personnes atteintes du SRAS-CoV2 lorsque celles-ci ont plus de 60 ou 70 ans ? Pourquoi ne revalorise-t-on pas les métiers de première et de seconde ligne, pourtant indispensables ? Comment se fait-il que l’on ne teste pas systématiquement toutes les personnes à risque, celles qui exercent des métiers de contact ou qui reviennent de pays tiers, se demandent les appelant.e.s ? Voici le type d’interrogations qui reviennent fréquemment.

 

    • La crise du coronavirus a manifestement coloré le contenu des appels. De nouvelles problématiques sont apparues et semblent même s’être greffées sur d’autres plus anciennes, plus structurelles : les relations interpersonnelles conflictuelles, les relations de voisinage, les violences domestiques, les deuils des proches des victimes, la méfiance à l’égard du gouvernement, les pertes d’emploi et de revenu, les angoisses liées à l’incertitude, à l’actualité politique et médiatique ambiante, la recherche de bouc-émissaires, etc.

 

 

Les mesures de confinement et de distanciation physique semblent avoir exacerber des problèmes sous-jacents :

    • La proportion de personnes insatisfaites de leurs contacts sociaux est encore plus importante qu’au début de la crise. Beaucoup d’appelant.e.s se disent dépressifs, sont victimes de troubles anxieux et ne se sentent pas suffisamment soutenus, en particulier celles et ceux qui appellent des maisons de repos, des centres de santé mentale ou celles qui se retrouvent seules chez elles, sans visite.

 

    • L’on voit combien la crise du covid-19 à travers sa dimension sanitaire mais aussi économique, politique et sociale est non seulement révélatrice des “dysfonctionnements” de notre société – mettant en lumière ce qui semble poser problème, aux uns et aux autres – mais combien elle a aussi contribué à aggraver des situations d’inégalités et des difficultés préexistantes concernant l’accès au logement, à la santé, au travail, à l’éducation… en Région bruxelloise.

 

    • La plupart des appels (62%) expriment des sentiments d’inquiétude (pour les proches qui se situent dans des zones à risques ou pour le futur qui paraît incertain), d’abandon (l’impression de ne plus pouvoir compter sur ses proches ou d’être mis à l’écart), de frustration (de ne plus avoir la liberté d’entreprendre, de bouger librement, par exemples) et manifestement de solitude accrus (83% des appels recensés).

 

    • Quand s’ajoute à cette situation particulière l’angoisse d’être contaminé, ou la perte d’un être cher, l’on mesure combien cet intervalle de temps du confinement au déconfinement peut sembler anxiogène et difficile à vivre. Il l’est d’autant plus pour les personnes seules qui n’ont personne à qui parler.

 

    • Un certain nombre d’appelants.e.s se plaignent des conséquences que ces mesures ont sur leur quotidien : sur leur état de santé, leurs relations socio-économiques ainsi que leurs parcours académiques et professionnels et leurs recherches d’emploi, notamment[1]. Près de deux appelant.e.s. sur cinq (40%) indiquent que la situation financière de leur ménage s’est détériorée par rapport au début de la pandémie.

 

Somme toute :

    • A Télé-Accueil Bruxelles, les vécus des appellant.es, nous rappellent opportunément ce que nous semblions avoir oubliés : combien l’interdépendance entre les êtres humains et la nature est primordiale mais également à quel point l’interdépendance entre les êtres humains l’est tout autant car une fois que l’on tombe – que l’on soit malade, handicapé, isolé, en situation de précarité ou pour les personnes âgées, sans abri, sans papier, prisonniers, réfugiés, etc. – il est difficile de se relever en l’absence d’autrui. Ceci confirme à nouveau l’importance qu’il y a reconsidérer les liens sociaux au sein de nos sociétés contemporaines. Le projet de Télé-Accueil s’inscrit dans cette dynamique-là.

 

    • L’on se rend compte que sans lien, sans toutes ces petites mains, trop souvent invisibles, qui œuvrent au bien-être des autres dans les secteurs de la santé, du nettoyage, des transports, de l’agriculture, de l’aide aux personnes… mais également sans la présence, l’accueil et l’écoute de celles et ceux qui se rendent disponibles, quitte à prendre des risques pour assurer la continuité des services dont beaucoup d’autres dépendent, les conséquences sociales de la crise du Covid-19 auraient probablement été encore bien plus dramatiques qu’elles ne le sont.

 

[1] Pour rappel à Télé-Accueil Bruxelles, 85 % des appelant.e.s n’ont pour diverses raisons pas d’activité professionnelle officielle. Pour plus de renseignements concernant la problématique du sentiment d’exclusion à Bruxelles et plus particulièrement de la sphère du travail, une récente étude intitulée : « L’exclusion du marché du travail : qu’en disent les appelants », a été mené à ce sujet en 2019 et peut-être commandée gratuitement en envoyant un e-mail à l’adresse : observatoire@teme-accueil-bruxelles.be

Enquête réalisée par Julien El Hasnaoui
Observatoire social de Télé-Accueil Bruxelles – © Juillet 2020
Courriel : observatoire@tele-accueil-bruxelles.be